vendredi 17 février 2017

Pleins feux sur le patrimoine no 10 - Féniens, Américains, Acadiens et Canadiens : les confrontations de la Confédération

NOTE DE LA RÉDACTION : Le texte suivant est le dixième d'une série des articles préparés à l'occasion de la Semaine du patrimoine 2017, qui se tiendra du 13 au 20 février. Intitulée Pleins feux sur le patrimoine, cette série nous donne une occasion de célébrer 150 ans de l’histoire, et de réfléchir au rôle du Nouveau-Brunswick dans l'établissement de la Confédération canadienne. En particulier, ce « pleins feux » est originaire de l’exposition du Musée de la région de Fredericton Un bateau plein d’ennui : Le Nouveau-Brunswick et la Conféderation, qui était conservée par Nathan Gavin et Caleb Goguen de STU et UNB.

Sir Arthur Hamilton Gordon
(Archives provinciales du
Nouveau-Brunswick, P360-14)

Féniens, Américains, Acadiens et Canadiens : les confrontations de la Confédération

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’expérience du Nouveau-Brunswick en ce qui concerne la Confédération a été houleuse. Le gouvernement responsable en étant toujours à ses balbutiements, la classe politique du Nouveau-Brunswick fera face à de nombreux obstacles avant de pouvoir se joindre à la Confédération. Avec le localisme ardent manifesté par certains et l’indignation flagrante que l’idée de toute forme d’union avec les Canadiens suscitait chez d’autres, l’entrée du Nouveau-Brunswick dans la Confédération ne sera pas de tout repos.

La guerre de Sécession aux États-Unis a été parmi les facteurs qui ont eu le plus d’influence sur la Confédération en raison des menaces qu’elle renfermait. Le jeune lieutenant-gouverneur Arthur Hamilton Gordon arrive au Nouveau-Brunswick en 1861, juste à temps pour sa première épreuve coloniale. Moins d’un mois après avoir mis les pieds sur le continent, il est confronté à l’affaire du Trent.


Les Néo-Brunswickois ayant encore à la mémoire la guerre de 1812, les tensions montent à fond de train le long de la frontière de l’Amérique du Nord britannique et des États-Unis. Le 8 novembre 1861, l’USS San Jacinto intercepte le RMS Trent, un navire britannique transporteur de courrier qui faisait la traversée entre La Havane et l’Angleterre. Le RMS Trent est attiré dans un guet-apens dans le canal de Bahama, et l’équipage de l’USS San Jacinto enlève John Slidell et James Mason, deux diplomates confédérés chargés d’obtenir la reconnaissance diplomatique de la confédération.

Le 63e régiment britannique
se prépare à partir de Saint John,
« London Illustrated News »
(Harriet Irving Library Archives & Special
Collections, UNB)
Le trouble déclenché par l’affaire du Trent en Amérique du Nord britannique se répercute dans tout le Nouveau-Brunswick. Dès que la nouvelle se propage, plus de 10 000 officiers et hommes sont envoyés dans la province du Canada. Les troupes arrivent d’abord à Saint John, où le lieutenant-gouverneur Arthur Hamilton Gordon se charge de les héberger dans les écoles, les postes de douane, les salles et tout autre endroit où il était possible de les loger en attendant qu’elles soient transportées au Canada.

Le 26 décembre 1861, les prisonniers sont relâchés et les tensions s’apaisent. La violence n’a pas explosé, mais l’affaire du Trent remet en question la stabilité des relations entre les États-Unis et l’Amérique du Nord britannique. Cela aura des effets défavorables sur le traité de réciprocité, un accord commercial signé entre les États-Unis et l’Amérique du Nord britannique en 1854. Cet accord encourageait le libre-échange entre les deux parties et accordait des droits de pêche aux Américains sur les côtes de l’Amérique du Nord britannique. L’affaire du Trent soulève également la question du temps de réaction de la défense du Nouveau-Brunswick, largement assurée et financée par la Couronne. À ce moment-là, Londres était tout à fait disposée à se débarrasser de la tâche coûteuse que représentait la défense de l’Amérique du Nord britannique.

Sir Albert James Smith
(Musée du Nouveau-Brunswick,
X10120)
Alors que le Nouveau-Brunswick commence peu à peu à se rallier à la Confédération, une force d’opposition augmente en guise de représailles. Le chef du Parti anti-confédération et député du comté de Westmorland, Albert James Smith, est d’avis que la Confédération sera horrible pour les Néo-Brunswickois. Il est soutenu par un groupe de gens qui sont plus qu’habitués à vivre sous un gouvernement anglais largement indifférent et qui s’opposent avec fougue à l’idée d’avoir au-dessus d’eux un autre niveau d’hommes politiques anglais, les Acadiens.

Dès le début, la population acadienne est contre la Confédération et ses nobles promesses. En plus de se méfier des manigances des Canadiens, elle ne fait pas confiance aux promesses de Samuel Leonard Tilley, notamment le projet de chemin de fer Intercolonial et son parcours ambigu à travers la province. Sachant que le chemin de fer éviterait probablement complètement la côte nord pour passer près de Saint John, le centre économique, et de Fredericton, la capitale, les Acadiens ont de la difficulté à croire au bien-fondé de la Confédération.

Sir Samuel Leonard Tilley
(Bibliothèque et Archives 
nationales du Québec,
P1000,S4,D21,P24)
Lorsque Samuel Leonard Tilley revient avec les résolutions de la Conférence de Québec, la population acadienne est certaine que la Confédération ne lui réserve rien de bon. Les garanties obtenues par le Haut-Canada et le Bas-Canada comprennent la protection des écoles religieuses minoritaires. Les catholiques du Haut-Canada et les anglicans du Bas-Canada sont protégés, mais la même garantie n'est pas accordée aux catholiques du Nouveau-Brunswick.

Tilley annonce une élection en 1865, faisant ainsi du Nouveau-Brunswick la seule province à avoir eu l’occasion de voter sur la question de savoir si la Confédération valait l’encre et le papier. Les résultats ne sont clairement pas bons pour Tilley. Albert James Smith et son équipe disparate de politiciens opposés au projet de Confédération prennent le pouvoir à l’Assemblée législative et mettent un frein au projet. L’équipe réunissait ceux qui étaient ardemment opposés à la Confédération et ceux qui l’appuyaient tièdement, mais qui avaient des doutes sur les résolutions de la Conférence de Québec.

Le parti de Smith commence à péricliter presque immédiatement. Les Américains se sont aperçus qu’ils profitaient moins du traité de réciprocité et l’abrogent rapidement. C’est le premier de nombreux coups fatals qui seront portés au projet anti-Confédération de Smith. Puisque la Confédération allait favoriser le commerce entre l’Est et l’Ouest à l’intérieur de l’Amérique du Nord britannique, Albert James Smith est conscient de l’importance de maintenir le traité de réciprocité. Sa tentative de le renouveler échoue, et il fait face peu après à un autre obstacle, la confrérie des féniens.

Le terme « fénien » est un dérivé du mot Finna qui désigne un groupe important de guerriers mythologiques dans la culture irlandaise. Le principal objectif des féniens était d’obtenir l’indépendance de l’Irlande face à la Grande-Bretagne. La confrérie des féniens estimait qu’en s’emparant d’une partie de l’Amérique du Nord britannique, elle obtiendrait un pouvoir de négociation. Le nombre de féniens grandissait en Amérique du Nord ainsi que leur influence. En 1865, la confrérie dispose d’environ 10 000 anciens combattants de la guerre de Sécession et de 500 000 $ et se dirige vers l’île Campobello.

Afin d’éviter d’éveiller des soupçons, la confrérie avait envoyé ses armes à Eastport, dans le Maine, dans un navire séparé, l’« Ocean Spray ». Arrivés quelques semaines avant l’événement, les nombreux féniens postés tout près de l’île Campobello effraient les Néo-Brunswickois et remettent en cause la trêve instable entre l’Amérique du Nord britannique et les États-Unis. Quand les autorités américaines mettent enfin un terme à la situation, la menace est déjà en grande partie écartée. Cela dit, il y a quand même eu une tentative d’invasion. Les féniens ont réussi à mettre le feu à quelques piles de bois et à s’emparer d’un drapeau britannique.

Du côté du Nouveau-Brunswick, l’événement suscite tout un chahut à l’Assemblée législative. La population catholique, par peur d’être mise dans le même panier que les insurgés féniens, change rapidement d’idée au sujet de la Confédération.

Craignant l’absence de défense, ceux qui s’abstenaient de prendre position sur la question sont poussés à opter pour la Confédération. Les résolutions de la Conférence de Québec promettent entre autres une force militaire centralisée, financée et maintenue par le gouvernement fédéral. Smith est forcé de tenir une autre élection, qu’il perd vite contre la coalition partisane de la Confédération.

Peter Mitchell
(Musée du Nouveau-Brunswick,
X10202)
Peter Mitchell prend les rênes, et le Nouveau-Brunswick adopte la Confédération sans aucun accroc, devenant l’une des premières provinces à l’intégrer. Comme le craignaient les Néo-Brunswickois anglophones, leurs inquiétudes et présomptions concernant le parcours du chemin de fer Intercolonial se réalisent. Celui-ci favorise les Acadiens et suit la côte nord, restant aussi loin que possible de la frontière américaine.

Pour en savoir plus sur l’agitation qui a entouré la Confédération et les événements qui y ont mené ou qui l’ont menacée, vous pouvez visiter l’exposition du Musée de la région de Fredericton, intitulée Un bateau plein d’ennui et lire « Turning Back the Fenians », de Robert Dallison, et « The Road to Canada », de Gary Campbell.


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